Dans la vie, chacun d’entre nous prend une direction différente. Nos envies divergent, nos objectifs, nos ambitions aussi. En nous-mêmes, au fil des années également. L’impermanence de nos désirs fluctuent notre vie. On observe les gens autour de nous évoluer et des changements s’opèrent en nous-mêmes également. Les chagrins d’amour, le deuil, la naissance d’un enfant, nos réussites et échecs nous sculptent.
En amour, en amitié, au travail, on avance parfois ensemble, souvent en parallèle, parfois main dans la main un court moment, puis on se sépare et chacun continue sur cette route qu’il s’est tracé. Et puis un jour, pour des raisons parfois religieuses, souvent spirituelles, parfois sportives, parfois amicales ou parce qu’un bouleversement professionnel ou personnel remet en question notre vie et nous pousse à faire le point, on se décide à marcher Compostelle.
Dans le jargon pèlerin on appelle ça : « l’appel du chemin ». Et là bas, sur ces routes, ces sentiers, ces chemins qui traversent toute l’Europe, on se contrefiche soudainement de savoir combien on gagne dans cette vie qu’on appelle « la vraie vie ». Dans ce rythme lent que nous donne la marche, notre perspective sur la vie est bouleversée. Sur notre vie. Elle nous parait loin soudainement et plus étriquée. Avec ce chemin on peut ressentir parfois de grands bouleversements intérieurs. Cette marque de voiture qui nous importait tant ou ces chaussures incroyables qui iraient si bien avec notre petite robe noire…nous paraissent tout d’un coup d’une moindre importance.. Au bout d’un moment on se dit: mais la vraie vie, n’est elle pas plutôt celle que je vis ici, sur ce chemin?
Puisque ici, tout ce qui importe au fond c’est toi, pèlerin de Saint-Jacques et qui tu es dans le moment présent. Nos vêtements sont presque tous identiques, lavés et portés à nouveau, encore et encore au fil des jours qui passent. On s’habitue vite à notre fameux look randonneur et à ses détails amusants: une paire de chaussettes et notre sous-vêtement qui sèchent sur notre sac, attachés avec une épingle à nourrice, et la coquille Saint-Jacques bien sûr! Le symbole ultime qui est notre plus bel ornement.
Ce qui intéresse vraiment le pèlerin, de quelque horizon qu’il soit, c’est là où il était hier et là où il ira demain. Ces étapes, ces villages qui vont ponctuer son quotidien. Et n’oublions pas la distance parcourue et la distance à parcourir encore. Après toute cette énergie brûlée jour après jour, autant vous dire que le repas du marcheur c’est sacré! Un rien est un festin. Un morceau de pain frais avec du fromage et un peu de saucisson mangés sur le bord de la route devient un met princier. J’ai personnellement toujours un peu de sel et du beurre dans un petit tupperware que j’aime appeler mon frigo. Ces grains de sel sur une tomate fraîche sont un délice. Ils subliment mes piques-niques. J’adore également goûter aux spécialités sucrées des boulangeries locales et les accompagner d’un capuccino.
On acquiert vite des petites habitudes. Lorsque je pars à la fraîche, le premier café que je trouve dans le village voisin sera ma scène de crime. Ces petits plaisirs sont tout. C’est l’occasion aussi de rencontrer, de faire connaissance, de partager et ainsi de raconter sa journée. Devant nous des pèlerin, derrière nous des pèlerins et lorsqu’on s’arrête on est vite amener à en rencontrer. Ici on est tous logés à la même enseigne. On s’épanche sur ses petites douleurs physiques typiques du randonneurs. On échange conseils et remèdes entre plus et moins expérimentés. Que mettre et ne pas mettre dans son sac à dos, comment le régler pour ne pas souffrir des trapèzes, savoir traiter ses ampoules ou éviter les tendinites…chacun à ses petites solutions miracles et est ravi de les prodiguer. Personnellement, j’aime retirer mes chaussures et chaussettes à chaque pause, laisser mes pieds respirer, m’étirer chaque matin et soir, ce sont pour moi des rituels sacrés. Si je prends soin de mon corps, si j’huile comme il faut la machine, elle avance à bon rythme et avec endurance. Lorsqu’on ne va pas à son rythme, que l’on force la cadence, on peut vite se retrouver freiné par un corps qui dit STOP! J’ai recnontré des randonneurs aguerris qui m’ont confié que le Chemin de Saint-Jacques ne fonctionne pas de la manière, ce à quoi ils sont habitués est différent ici. On peut randonner régulièrement mais marcher pendant des semaines n’est pas comparable. Il faut savoir ménager son corps, être à son écoute et le respecter.
Le Chemin c’est dénuement. Plus on avance, plus on s’allège. On renvoie souvent par la poste quelques kilos qui à la maison n’étaient rien mais qui se font sentir au bout de quelques heures de marche. Si on n’utilise pas la voie postale, on se déleste en chemin, notre soulagement fera le bonheur d’un autre. Le si peu que l’on possède, on le partage, car ensemble, c’est toujours mieux que seul. À plusieurs on se découvre, on échange sur toutes sortes de sujets. Si on part marcher dans un pays dont on connaît peu la langue, on communique parfois avec un vocabulaire réduit, voir par gestes. La barrière de la langue existe mais ne nous empêchera jamais vraiment de dialoguer et de découvrir la raison d’être de nos amis pèlerins sur Compostelle, ce « pourquoi » qui les as mis en mouvement jusqu’ici. Cette raison qui les a poussé, qui les a motivé, qui les passionné au point de se dire: « Je vais partir marcher en direction de Saint-Jacques, traverser un pays à pied, aussi longtemps que cela me prendra ».
Certains jours, certaines heures, on est heureux également, de retrouver un peu de solitude en marchant au fil de ses pensées. C’est agréable de pouvoir alterner moments en solitaire où l’on s’entend penser, dans ces moments, la marche devient une marche méditative, un vide rempli de beauté de se sentir vivant et dans l’instant. Dans le silence, on entend alors le bruit de la nature, de la vie qui s’éveille aux aurores, de la terre qui se réchauffe sous la caresse du soleil, du vent dans les feuilles. On entend le son de nos propres pas sur les pavés, sur les cailloux, dans la boue des champs que l’on traverse, et celui de l’eau des source qui étanchent nos soifs. Le soleil nous réchauffe le matin lorsque partis à 6h le froid nous mord, puis le soleil, cette fois-ci nous brûle, lorsqu’au milieu de sa course, au zénith, il nous poursuit de ses ardeurs car nous continuons sans cesse d’avancer vers notre prochaine destination, et l’ombre des arbres nous narguent de leur fraîcheur. Le salut du pèlerin réside dans son couvre-chef! Et il me plait d’ajouter: dans sa crème solaire. Comme l’on avance toujours dans la même direction, le soleil nous caresse toujours aux même endroits, d’un seul côté. Il est alors conseillé de se badigeonner si on ne veut pas finir avec un bronzage bicolore!
Les jours s’enchaînent, se ressemblent sans vraiment se ressembler. Un jour vous êtes seul(e), le lendemain entouré(e) d’une multitude d’amis pèlerins. Tous unis par cette même intention, cette action de marcher, cette envie de se rapprocher de Saint-Jacqes de Compostelle, avec ce même élan qui chaque matin nous réveille. Cela nous rassemble, cela réduit les frontières qui auraient pu nous séparer chez nous, celles de nos origines, de nos ambitions, de nos envies. Toutes ces petites différences qui auraient pu nous pousser à nous juger, à nous jauger, se réduisent, car logés à la même enseigne, on a soudainement tellement de choses en commun. Marcher c’est renaître. On apprend à se redécouvrir entre ciel et terre, dans la persévérance , dans ce mouvement qui accompagne la cycle des jours qui passent. On vit passionnément dans une immense simplicité, un dénuement qui nous montre combien on a besoin de peu pour être heureux.
La nature devient un spectacle pour qui sait regarder.
Le chemin a sa magie propre, ce regard tourné vers l’autre est aussi un regard tourné vers soi. Dans cette quête vers Saint-Jacques, le pèlerin en prend plein les yeux. Je me souviens d’un matin, le lendemain d’un jour sans soleil, sur une partie de La Via Podiensis réputée comme étant la plus belle. J’avais cheminé dans un brouillard dense qui ne me permettait pas de voir à plus de quelques mètres. J’avais décidé d’écourter mes kilomètres et de retenter ma chance le jour suivant. La chance avait tournée, un soleil sans nuage posait son regard sur le plateau de l’Aubrac, la rosée scintillait sur la bruyère et les gouttes d’eau faisaient des petites bulles comme des boules de noël transparentes miniatures. Une vision fascinante.
Vous m’auriez vu quasiment allongée parterre, j’aurai été moi-même une vision un peu démente et incongrue. Pour une photo la notion de ridicule ne m’effleure pas une seconde. Le résultat en vaut toujours la chandelle. Mon amie Mathilde s’en rapelle le jour où je fus allongée sous l’asphalte, j’avais placé toute ma confiance en Gilles, au volant de son Side-Car Ural, qui faisait preuve d’une prouesse digne d’un acrobate à deux roues, ma tête s’était alors retrouvée sous la roue droite du side-car alors qu’il roulait sur la roue gauche en équilibre. À voir ici.
L’été 2016 je marchait 900 kilomètres environ au départ de Navarrenx, partie seule, je finissait mes derniers 200 kilomètres entourée d’un groupe unis par la marche. Je profitai de la présence de mes compagnons pèlerins pour capturer des moments fort comme avec Raphaël, dont la silhouette fut découpée par la lumière naissante du jour. On devine ses battons qu’il tient d’une main, la route est plate, leurs aides n’était pas nécessaire. Difficile à dire lequel des deux est le plus mise en valeur, la personne ou la nature? Les deux il semblerait.
Cette silhouette mystérieuse sortant du brouillard représente bien le pèlerin de Saint-Jacques dans toute sa splendeur, très souvent, seule la nature est témoin de sa beauté.
Aller marcher sur les chemins de Compostelle c’est ressentir une liberté telle, que l’on sait pertinemment que cette envie reviendra un jour nous tarauder. Liberté ne rime pas ici avec facilité, car ce n’est pas facilité que l’on trouve. Dans l’effort, on trouve parfois des réponses aux questions qu’on ne s’était même pas posé, on apprend à s’écouter davantage et une fois arrivé, on se surprend soi même de la distance parcourue. Pour celui qui nous regarde de loin, la route semble si longue, mais pour nous, pèlerins, ce sont des paysages, des villages, des églises, des amitiés, de la joie, de la sueur et surtout, un pas après l’autre. Un jour la destination est atteinte mais notre envie de continuer, elle, ne s’arrête pas.
La version pèlerine de ma personne:
Quelques photos de mes 1515 km depuis le Puy en Velay jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle :
Il est certain que le chemin m’appelle toujours, en attendant de me donner le temps d’y retourner je l’imagine se faire fouler par des milliers de pieds de pèlerins qui sauront, comme moi, apprécier sa magie. Mon coeur et mon âme se réjouissent du jour où nous serons à nouveau réunis.
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